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Et si on se racontait de nouvelles histoires ?

Crédit photo : Mystic Art Design par Pixabay

Sapiens, l'espèce fabulatrice

Si vous avez fait l’expérience de raconter des histoires à de jeunes enfants, vous vous êtes rendus compte qu’ils sont capables de l’écouter des centaines de fois avant de s’en lasser. Il en est finalement de même lorsque nous devenons adultes : nous conservons cette même passion pour les histoires. Nous passons un temps considérable à nous nourrir de récits en tout genre : cinéma, séries, romans, BD, théâtre, actualités, réseaux sociaux, publicités et aussi commérages, rien ne vaut un bon storytelling pour nous divertir.

 Selon l’historien Yuval Noah Harari, dans son ouvrage Sapiens une brève histoire de l’humanité, c’est même cela qui a fait de nous une espèce « dominante » : les humains sont devenus les êtres vivants les plus puissants de la planète grâce à leur imagination et leur capacité à raconter des histoires.

Cette faculté propre aux homo-sapiens permet de créer de la confiance entre des individus issus de différents groupes : grâce à ces récits, nous nous retrouvons autour d’une vision et d’objectifs communs. Les fictions que nous construisons nous permettent de fédérer de larges communautés et de coopérer de manière agile, ce qui n’est pas le cas des autres espèces (qui soit sont limitées à des groupes restreints, soit coopèrent en grand nombre mais dans des systèmes rigides). C’est parce que nous sommes une « espèce fabulatrice » (cf Nancy Huston) que nous avons réussi à nous hisser au sommet de la chaîne alimentaire.

Qui a peur du grand méchant loup ?

Le Petit Chaperon rouge et le loup, illustration de Gustave Doré. Source : Wikimedia

Toutes les histoires que nous nous racontons forgent notre imaginaire collectif, notre vision du monde, et influencent nos comportements. Pourquoi le loup a-t-il été chassé et repoussé de nos forêts pendant des décennies au point d’être exterminé en France au début du XXème siècle ? L’histoire des 3 petits cochons ou du petit chaperon rouge n’y seraient-elles pas pour quelque-chose ?  Geneviève Carbone dans son ouvrage La peur du loup  confronte les contes, légendes et mythes autour du loup aux découvertes des zoologistes. Elle apporte un éclairage intéressant sur la manière dont les récits ont contribués à alimenter notre peur du loup et ainsi à entraîner et « justifier » sa quasi-extermination.

La puissance d’un récit est telle qu’elle influence directement nos comportements, pour le meilleur comme pour le pire. Quand on y pense, l’Etat-Nation, la monnaie, l’entreprise, les droits de l’homme, ne sont-ils pas autant de fictions que nous avons construites et qui structurent aujourd’hui notre société occidentale ?

Bruce Willis viendra-t-il nous sauver ?

bruce willis sauveur

Visuel issu du film die-hard 4  – retour en enfer de Len Wiseman – crédit : Twentieth Century Fox

Aujourd’hui, Sapiens se trouve face à des défis climatiques et environnementaux sans précédents, mettant en jeu sa propre survie et celles de millions d’espèces. Mais face à ces enjeux, nous semblons pris au piège de nos propres récits… Sans renier le plaisir cathartique que peut procurer un bon film catastrophe américain, ou une bonne SF, les imaginaires du futur véhiculés proposent principalement deux options : un effondrement généralisé (taper 1), ou une société devenue ultra-technologique (taper 2). Pour envisager le futur, nous avons donc le choix entre « le Jour d’Après » où la moitié de la planète y passe (sauf les héros bien sûr) et « Bienvenue à Gattaca » où nos gènes ont été bien gentiment sélectionnés pour nous rendre, enfin pour les plus chanceux, super performants.

Certaines de ces options font peut-être rêver quelques milliardaires transhumanistes de la Sillicon Valley ou des survivalistes au fond de leur bunker, mais nous font-elles vraiment envie ?

Ces horizons effrayants ne participent-ils pas à notre sentiment d’impuissance face à l’avenir ? Dans un cas, tout est de toute façon foutu (et, n’étant pas Bruce Willis, on ne pourra rien y faire, donc autant en profiter aujourd’hui). Et dans l’autre, la « Science » nous sauvera (et on va les laisser travailler…). Dans les deux cas, les récits dominants du futur confortent l’inaction…

Il est temps reprogrammer la matrice !

Visuel issu du film Matrix de Lana et Lilly Wachowski –  crédit : Warner Bros

N’êtes-vous pas lassés de toutes ces histoires qui nous ont été maintes fois rabâchées ? N’est-il pas temps de nous raconter de nouvelles histoires pour construire un autre avenir que celui qui nous est promis ? C’est en tout cas l’avis de nombreux acteurs de la transition. Rob Hopkins, dans son dernier ouvrage Et Si…on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons, introduit la question de cette manière :  « J’ouvre ce livre parce que nous vivons dans une époque où ces histoires – des récits d’un quotidien tel qu’il pourrait advenir si nous pouvions, dans les vingt prochaines années, rassembler notre courage, faire briller notre intelligence, prendre des décisions afin de trouver des solutions à la mesure des enjeux auxquels nous devons faire face et construire un futur qui nous convienne – eh bien, ces histoires-là sont trop rares ». Et comme le dit aussi très justement Cyril Dion dans Le petit manuel de résistance contemporaine : « Nous avons besoin de rêver, d’imaginer quelles maisons nous pourrions habiter, dans quelles villes  nous pourrions évoluer, quels moyens nous utiliserions pour nous déplacer, comment nous produirions notre nourriture, de quelle façon nous pourrions  vivre ensemble, décider ensemble, partager notre planète avec tous les êtres vivants »  Il devient vital d’inventer de nouveaux récits d’avenir positifs, joyeux et fédérateurs, qui susciteront l’envie d’agir pour les faire advenir. Et si, dès aujourd’hui, on se racontait de nouvelles histoires ?